La donnée bancaire, nouveau territoire des données personnelles : être meilleurs data-entrepreneurs que les GAFAM - tribune avec C. de Gastines (Tribune Les Echos - février 2019)

La donnée bancaire, nouveau territoire des données personnelles : être meilleurs data-entrepreneurs que les GAFAM - tribune avec C. de Gastines (Tribune Les Echos - février 2019)

L’Europe a perdu jusqu’à présent la bataille de la donnée. Un nouveau territoire de données personnelles fera probablement parler de lui à partir de 2019 : celui de la donnée bancaire. Les entreprises européennes pourraient-elles reprendre la main ?

Revenons sur 2018 : menaces orwelliennes sur l’intimité des personnes, multiplication des débats éthiques sur l’IA, érection de barrières réglementaires en Europe, etc. De nombreux vents ont soufflé l’an dernier sur l’exploitation des données personnelles. Face à ces nouvelles angoissantes, voire à des scandales avérés, les GAFAM-BATX ont perdu de leur superbe. Il est dorénavant de bon ton de les pourfendre. Conséquences directes : les cours de bourse bruissent, des instructions juridictionnelles s’ouvrent et les cabinets ministériels s’emparent du sujet.

Cependant, il faut se rendre à l’évidence du vote économique : l’adhésion bien concrète de tout un chacun aux services omniprésents de Facebook, Instagram, d’Amazon ou de Google ne décroît pas. Pourtant, rien n’oblige réellement ces centaines de millions de consommateurs à plébisciter les services de ces acteurs par des myriades de gestes libres au quotidien, rien… si ce n’est l’irrésistible simplicité et souvent l’efficacité salvatrice de ces services. Rendons-nous à l’évidence, l’Europe a depuis longtemps perdu la bataille de la donnée web et mobile au profit des Américains et des Chinois. Au-delà de la taille du marché et de la culture entrepreneuriale favorable à la prise de risques, ces peuples éclairés ont su comprendre, avant tout le monde, que l’expérience utilisateur est un modèle économique en tant que tel.

La donnée bancaire, voici la prochaine frontière où la bataille va faire rage. Porteur de petits & grands secrets sur notre vie quotidienne, notre relevé bancaire est un annuaire parfois rébarbatif… mais d’une minutie insoupçonnée sur nos us et coutumes : revenus, achats, abonnements, voyages, dépenses de santé, etc. La donnée bancaire fait fantasmer depuis longtemps, nul besoin de réfléchir longtemps pour en comprendre sa puissance.

Pourquoi donc ne voit-on poindre que maintenant son exploitation massive ? Bien sûr il y a la DSP2, une réglementation européenne qui en impose le partage au travers d’API ; mais les agrégateurs de compte ouvrent déjà cette donnée depuis plusieurs années, et nombre de consommateurs en profitent. Le véritable aiguillon est à rechercher ailleurs, au cœur de la guerre économique menée par les titans du web et mobile : les GAFAM-BATX une fois encore, qui chatouillent peu à peu les banques afin de capter la donnée bancaire.

Leur principale arme ? Celle-là même brandie au cours de la précédente bataille : de la valeur tangible dans un écrin de simplicité et une gratuité apparente. Les banques n’ont plus le choix et doivent également créer de la valeur et de l’expérience simple. Contraintes par le temps et peu agiles, elles devront de plus en plus partager cette donnée avec des acteurs tiers sous peine de bientôt subir une attrition massive.

Cette donnée regorge de menues promesses pour les consommateurs. Des promesses aujourd'hui encore discrètes, mais potentiellement plus massives à terme encore que d’autres usages numériques.

Je n’ai pas envie d’une n-ième carte de fidélité… et, pourtant, au n-ième achat j’apprécierais une ristourne. Les formulaires longuets m’agacent..., et pourtant j’ai besoin de rapidement conclure mon nouveau crédit immobilier. Je n’ai guère le temps de surveiller mon compte… et pourtant il y a bien à faire pour gérer mon épargne. Ces trois problèmes sont potentiellement solubles en quelques clics grâce au partage des données bancaires.

A contrario, ai-je envie que mon employeur puisse accéder à mon insu aux revenus de mon conjoint. Que des tiers sachent où j’ai passé mes vacances ou que j’ai consulté tel spécialiste médical ? Là encore, le partage de la donnée bancaire est en jeu. Les données bancaires sont un territoire-clé de données personnelles, avec une profondeur historique insoupçonnée.

En comparaison, les données de navigation web & réseaux sociaux sont riches sur les intentions et intérêts, mais souffrent parfois d’être trop passagères. Les données d’achats d’un marchand, même aussi ubiquitaire qu’Amazon, ne captent qu’une partie restreinte de nos us et coutumes. Les données bancaires bénéficient aussi d’une longue histoire de sécurisation intrinsèque, un sujet identitaire pour les banques. À la différence du "Far West" du réseau Internet et des réseaux sociaux, cet historique porte la promesse potentielle d’usages algorithmiques plus nativement sécurisés que ceux d’autres données personnelles.

Ce territoire reste encore à conquérir. Comment l’Europe peut-elle en être ? Ne cherchons pas d’abord à diaboliser les GAFAM, à les taxer de façon maladroite et peu proportionnée (500M EUR), ou à lever de nouvelles barrières réglementaires… ou à devenir les champions de l’éthique attentiste et plaintive. Créons d’abord de la concurrence. Sans doute via les dispositifs anti-trust, garde-fou fondamental d’une liberté économique, plus menacée encore par le tout ou rien des plateformes digitales. Mais aussi via les entrepreneurs ! Pour créer de nouveaux entrants, comme l’ont fait les fondateurs des GAFAM. En faisant du libre vote micro-économique le souverain juge. Un juge bien imparfait... à l’exception de tous les autres ?

Faisons confiance aux entrepreneurs : il faut notamment que les banques, les marchands & les consommateurs testent le plus tôt possible leurs services. Il le faut pour construire d’ambitieux concurrents européens, qui puissent se voir plébiscités librement, rapidement et massivement par les consommateurs. Plébiscités parce que, grâce à ces nouvelles données, leurs services seront encore meilleurs que ceux des GAFAM. Parce qu’ils seront encore plus simples, plus utiles, et donc porteurs de plus de valeur perçue… Et parce qu’ils sauront rassurer les consommateurs sur le plan éthique : par un respect loyal de leur consentement, par une transparence accrue des usages des algorithmes, sans agenda caché, et par autant de sécurité que possible dans un monde qui le demande.

Charles de Gastines - CEO PayLead

Etienne de Rocquigny - Président OpérationData